Interview | François Uzan (promo 2007)
Il a écrit pour le cinéma (« HIBOU », « POCHETTE SURPRISE », « STARS 80 », « LES ÂMES DE PAPIER », « LE MAC »...) et la télévision (« FAMILY lire la suite
François Uzan, scénariste et réalisateur diplômé du CEEA en 2007.
Il a écrit pour le cinéma (« HIBOU », « POCHETTE SURPRISE », « STARS 80 », « LES ÂMES DE PAPIER », « LE MAC »...) et la télévision (« FAMILY BUSINESS », « DEAD LANDES »...).
En 2020, François Uzan réalise enfin le scénario de son premier long-métrage avec Jacques Gamblin et Pascale Arbillot : « ON SOURIT POUR LA PHOTO », dont it il signe également le scénario. Récemment, il a collaboré à la création de la série « LUPIN » (Netflix, 2021), et à l’écriture de « JE TE PROMETS » (TF1, 2021) avec Déborah Hassoun (promo 2005).
- Que retiens-tu de tes études au CEEA ?
Au-delà d’un bagage théorique solide, le CEEA m’a apporté deux choses :
… Il m’a permis de découvrir quel auteur j’étais (ou j’aspirais à être) principalement à travers l’incroyable quantité de choses ratées que j’ai écrites au fil des deux ans de formation. C’est douloureux, mais c’est un tamis nécessaire. Il faut essayer le polar, le fantastique, l’horreur, la comédie, le drame, le burlesque… Tamiser, tamiser… S’il reste une petite pépite à la fin, c’est à ça que vous êtes bon.
… Il m’a fait rencontrer des gens formidables, mes collègues d’atelier comme mes formateurs. À eux tous, ils ont constitué ce premier cercle, cet embryon de réseau si précieux en début de carrière. C’est notamment Claire Aziza, l’une de mes formatrices de l’époque, qui m’a mis sur mon premier job et je lui en serai éternellement reconnaissant.
- Tu as exploré différents formats en tant que scénariste (programme court, série, adaptation, long métrage...). L’écriture de chaque format nécessite-t-elle des compétences spécifiques ?
Oui et non.
Oui parce qu’à chaque format ses contraintes (de temps, de budget, de ton).
Je n’écris pas la même chose pour un sketch de « LIKE-MOI » que je vais tourner en deux heures, une scène de « DEAD LANDES » en plan séquence, ou une scène de « LUPIN » pour laquelle on va bloquer le Louvre toute une nuit. Je m’adapte, sinon je suis mort.
Non, parce que finalement, que ce soit pour Netflix ou France 4, pour la télévision ou le cinéma, j’essaie toujours de recourir aux mêmes "trucs" qui me permettent de répondre "oui" aux questions suivantes :
… est-ce que la scène est indispensable ?
… est-ce qu’elle est émouvante (au sens où elle provoque une émotion, le rire, la peur, la tristesse…) ?
… est -ce que tous les personnages ont quelque chose à manger ?
… est-ce qu’une idée maligne de mise en scène ou de situation me permettrait de répondre "oui" à l’une des questions précédentes ?
Un scénariste doit être malin, inventif, rigoureux et audacieux. Pour moi, ce sont les compétences de base. Après, le format dicte la façon dont on mettra en œuvre ces compétences. Tout l’argent du monde ne sauvera pas une mauvaise scène et même regardée sur un écran de portable entre deux stations de métro, une bonne scène est une bonne scène.
- Tu as écrit ou co-écrit de nombreux films de cinéma. Tu viens de terminer le tournage de ton premier long métrage « ON SOURIT POUR LA PHOTO » dont tu signes également le scénario. Est-ce la même chose d’écrire pour soi que pour les autres ?
Dans le cas d’un projet que je n’ai pas initié, je peux arriver à différentes étapes, soit lorsqu’un producteur ou un réalisateur ont une idée de base, soit lorsqu’une première version existe et que je dois travailler sur la structure, soit pour une dernière couche de dialogue.
En fonction de l’étape à laquelle j’arrive j’essaie d’apporter sans dénaturer. J’ai énormément de respect pour "l’envie initiale" de l’autre et je m’efforce de construire autour, de servir cette envie sans essayer d’y faire rentrer la mienne au chausse-pied.
J’ai parfois fait l’erreur de substituer mon désir à celui à l’origine du film. Au début, on est fier d’avoir "révélé" son film à l’autre, mais cela se retourne souvent contre nous : au bout de trois versions et plusieurs mois de travail, on s’entend dire "Ok… mais ça n’est pas mon film".
Lorsque j’écris pour moi, comme « ON SOURIT POUR LA PHOTO », c’est un peu la même chose, sauf que "l’autre"… c’est vous.
Celui qu’il ne faut pas trahir, c’est vous. Celui qui pourrait vous dire, au bout de plusieurs années "Ok… mais ça n’est pas mon film", c’est vous.
Tout est plus personnel, plus intense parce que ce sont vos tripes que vous posez sur la table, mais le deal reste le même : ne pas trahir.
Or au fil du processus, souvent très long, de développement d’un long métrage, il est facile de perdre de vue ce qui vous a donné envie d’écrire ce film, la première étincelle, la première émotion.
Au gré des refus, des rencontres, du financement, du casting, des réécritures, le film peut vous échapper. On essaie de plaire, de convaincre, de vendre et on oublie le "pourquoi" à force de s’acharner sur le "comment".
Quand cela arrive, c’est terrible, on est perdu au milieu de nulle part. Il faut alors se souvenir du tout début, de l’envie initiale. Ça peut être une chanson, une photo, un moment, une sensation. C’est en se raccrochant à cela qu’on retrouve son chemin.
Et si vous avez la chance d’avoir un bon producteur, il vous rappellera inlassablement cette envie. Cela été le cas d’Anthony Lancret pour « ON SOURIT POUR LA PHOTO ».
Donc pour répondre à la question, le job d’un scénariste est d’utiliser son savoir-faire pour écrire une histoire qui ne trahira pas une envie.
Quand on écrit pour un autre, on risque de trahir quelqu’un d’autre. On s’en remet.
Quand on écrit pour soi, c’est soi-même qu’on est susceptible de trahir. On s’en remet, mais c’est plus long. Personne n’a envie de croiser le regard d’un traître tous les matins dans le miroir.
- Quel(s) conseil(s) donnerais-tu à un jeune diplômé du CEEA ?
Mon premier conseil serait : méfiez-vous des conseils. J’en ai reçu de calamiteux de gens pourtant très bien intentionnés, mais un conseil peut très bien s’appliquer à vous et pas aux autres. Donc prudence.
Mais si je devais vraiment en donner un, je dirais "Ne perdez jamais de vue votre objectif initial", ce qui vous a motivé à faire ce métier.
Cela peut-être devenir showrunnner, écrire un rôle pour Depardieu ou Emma Stone, raconter l’histoire de votre famille, ouvrir les yeux du monde sur une cause qui vous est chère ou juste gagner de quoi vous acheter une villa avec piscine à débordement à Malibu.
Tous ces objectifs sont parfaitement valables, mais ils n’impliquent pas les mêmes sacrifices et les mêmes voies.
Donc à intervalle régulier, il faut se demander "Pourquoi ai-je voulu devenir scénariste ? Je rêvais à quoi ce jour-là ?".
Si ce que vous êtes en train d’écrire à ce moment-là semble être un détour par rapport à votre objectif initial, ne faites pas demi-tour immédiatement, mais essayez d’ajuster le cap au prochain coup.
Une carrière n’est pas une ligne droite. Il faut parfois travailler sur des projets qui vous enthousiasment un peu moins, surtout au début, mais c’est, je crois, le prix à payer pour pouvoir, ensuite, être libre de faire ses choix et les bons.
Finalement, une carrière est un comme un bon scénario : il peut y avoir des obstacles, des digressions, des fausses pistes, mais il ne faut jamais perdre de vue l’objectif de départ. Sinon c’est raté.
Photo : © Panagiotis Achouriotis
Le 06/10/2020